Je ferme les fenêtres ...
Mon cœur se trouve dans une sorte de limbes, dans ce rêve entretenu du retour en Belgique, même si les bagages ne sont pas faits. Pourtant, mentalement je ferme les volets sur mon dernier été ici, les dernières promenades, les dernières fois que …
La maison qui me laissait imaginer ses heureux hiers ne verra plus beaucoup de lendemains : elle s’effondre sous la poussée des intempéries, des heures et semaines, des termites et de l’abandon. Au bord du réservoir d’un bleu indifférent, sous le chaud soleil qui excite les cigales elle cède, accepte le départ vers l’oubli, gardant en elle l’odeur de l’apple pie et l’écho des comptines enfantines. Ring-a-ring-a-roses, A pocket full of posies; Hush! hush! hush! hush! We’re all tumbled down. Mais je ne verrai pas sa fin.
Le parc où Millie, quand elle ne s’abandonne pas à sa paresse crasse sur le divan, consent à faire certaines de ses promenades a une immuable sérénité, veillé par l’église de Our Lady of the Lake. Les oies du Canada en sillonnent le ciel dans un bruyant vol en pointe, le héron s’élève de derrière les taillis au bord du petit lac, les fleurs sauvages sèment sans compter leurs semences dans la brise, s’assurant une nouvelle avancée pour l’année prochaine. Que je ne verrai pas.
Je suis retournée à la maison Van Vleck et l’ai savourée dans le triomphe de l’été. Et en ai profité pour y photographier la première maison, celle où a grandit l’architecte qui nous enchante encore avec la fameuse Van Vleck house (dans la rue Van Vleck, pas de surprise !).
La floraison de mon jardin, où il n’y avait rien quand nous sommes arrivés. J’évoque une des dernières lettres de ma mère : Je repense à tous mes animaux et mes plantes … et voilà que je la comprends. J’y penserai, à mes fleurs et aux petits êtres des bois qui partagent leur monde avec moi. Lors de nos promenades, je ramasse avec un entrain de gamine les plumes que je trouve, et les garde. Comme les fleurs, leur beauté est parfaite et inégalable par l’homme. Elles parlent d’un éphémère qui se reproduit sans cesse, une chaîne sans fin.
Les soupirs de ma maison, avare en luminosité mais que l’on arrive à faire sourire quand même…
Notre vie sera différente, une fois rentrés. Plus familière puisque je n’ai jamais cessé de m’étonner de biens des aspects de celle que j’ai ici. Et que je lutte contre l’immersion totale. Non, je ne veux pas faire mes courses en training, sneakers et casquette de baseball, avec une banane sur l’estomac. Je consens à porter des jeans, mais j’ai mon joli sac Furla et mon nez en l’air d’Européenne qui se croit qui sait quoi. Et pourtant, pourtant … nous avons déjà une expression un peu perdue devant les nudités européennes quand par accident on en voit à la télévision. La pruderie acharnée de ce pays nous agace mais nous met le rose aux joues quand l’impudeur du vieux continent nous arrive : un ami m’a envoyé une bande dessinée de Robert Crumb, Mr Natural, pour me rappeler le bon vieux temps. J’habitais alors Aix en Provence et nous riions aux larmes en la lisant. Et ici, mon castor et moi avons lamentablement pâli et caché ce temple du vice sous une pile de choses anodines : si quelqu’un voyait ça chez nous, les voisins nous lapideront, nous dépèceront et puis nous hacheront menu en agitant des bibles et des crucifix. Ce sera bientôt fini, cette crainte que l’on ne trouve pas chez moi … LE MAL. Ce type de « never more » me remplit de joies !
Mais la maison qui s’éteint, les fleurs, les lieux de promenades, notre chez-nous … oui, il y a un peu de nostalgie dans notre plaisir, alors que nous fermons les fenêtres une par une. Et les scellons par les volets.